Mise à jour le 30 avril 2020

 

CAP 2022 : LES PRÉFETS A LA MANOEUVRE

Alors que certains annoncent un Acte II du quinquennat, « plus social », « plus écologique », le gouvernement poursuit en catimini son plan de transformation de l’État : Cap 2022* !

[* Lancé en Edouard Philippe, le programme Actions Publiques 2022 a selon l’Exécutif pour ambition de repenser et de transformer le modèle de l’action publique. Tous les secteurs sont concernés dont la Culture. Sous couvert de modernisation, il s’agit pour le gouvernement d’opérer une baisse de la dépense publique de 30 milliards d’euros avec l’ouverture à la concurrence, la privatisation des services publics ou encore la fin du recrutement au statut des fonctionnaires.]

Nous aurions pu penser qu’en cette période, toute l’énergie du gouvernement serait tournée vers la résolution de la crise. Et bien non. Le 9 avril 2020, un décret a été publié au Journal Officiel qui donne des pouvoirs supplémentaires aux Préfets. Ce décret accorde la faculté aux préfets de région et de département, en métropole et outre-mer, de déroger aux normes arrêtées par de l'Etat pour un motif d'intérêt général. Le représentant de l’Etat dans la région ou le département est donc désormais autorisé à prendre des décisions dérogeant à la réglementation dans certains domaines, afin de tenir compte, sous certaines conditions, des circonstances locales.

Le préfet peut ainsi intervenir dans les domaines suivants :


1° Subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ;
2° Aménagement du territoire et politique de la ville ;
3° Environnement, agriculture et forêts ;
4° Construction, logement et urbanisme ;
5° Emploi et activité économique ;
6° Protection et mise en valeur du patrimoine culturel ;
7° Activités sportives, socio-éducatives et associatives.

À travers la politique de subventions ou des dispositifs de soutien, la question de l’emploi et de l’activité économique, les associations, le secteur culturel est largement concerné par ce texte. Ici, c’est le service public des arts et de la culture qui est directement menacé. En effet, comment impulser une politique publique au niveau national si dans les territoires les préfets sont habilités à mettre en place des règles particulières en opportunité pour les établissements culturels ?

Le Syndicat (Syndeac) s’est d’ores et déjà exprimé pour demander un assouplissement des cahiers des missions et des charges pour les lieux labellisés et le premier ministre Franck Riester s’est montré particulièrement à l’écoute de cette revendication. Voilà chose faite.

Notons néanmoins le pouvoir du préfet est limité par ce décret. La dérogation doit ainsi être justifiée par un motif d'intérêt général et l'existence de circonstances locales. Elle doit également avoir pour effet d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques. Elle doit être en outre compatible avec les engagements européens et internationaux de la France et ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé. Le droit à la dérogation du préfet ne porte que sur les normes arrêtées par l’administration de l’Etat, c’est-à-dire les décrets, arrêtés ou circulaires. En aucun cas le préfet ne pourra déroger à la Constitution, la loi ou encore aux dispositions du droit de l’Union européenne.

Enfin, élément important, le préfet ne peut prendre des dérogations qu’à caractère « non réglementaire ». Il ne peut donc prendre que des dérogations à titre individuel et non ayant une portée générale.

Si le juge administratif peut effectuer un contrôle des arrêtés de dérogation et annuler pour excès de pouvoir les arrêtés ne respectant pas ces critères, cela ne règle pas le problème politique sous-jacent. Au sortir de la crise, nous aurons besoin d’une politique volontariste permettant de relancer la création, l’emploi et garantissant la diversité des œuvres et des répertoires, et ce sur tous les territoires. Cela suppose de rompre avec le dogme néolibéral et le plan de transformation de l'action publique que conduit le gouvernement.

La politique culturelle a besoin d’être incarnée, et cela ne pourra se faire que dans le respect du pacte républicain.